Lemmings

Deux espèces de lemmings sont présentes sur l’Île Bylot: le lemming brun, l’espèce la plus abondante et le lemming variable. On retrouve généralement le lemming brun dans les milieux humides où il s’alimente de plantes comme les cypéracées, les graminées, les mousses et les arbustes. À l’opposé, le lemming variable préfère les habitats plus secs (milieux mésiques) où il s’alimente principalement de graminées, de plantes herbacées et d’arbustes. Ces deux espèces de lemmings jouent des rôles écologiques importants dans l’écosystème de l’Île Bylot. Ils sont les proies principales de plusieurs prédateurs comme le renard arctique, l'hermine, la buse pattue, le faucon pèlerin, le goéland bourgmestre, le labbe à longue queue et le harfang des neiges.

Brown lemming - Dominique Fauteux Collared lemming - Andréanne Beardsell
Lemming brun Lemming variable

Une caractéristique particulière de ces deux espèces de lemmings est la nature cyclique de leurs populations. Ceci veut dire que les populations de lemmings bruns et de lemmings variables passent par des périodes régulières d’abondance très faible à très élevée. Sur l’Île Bylot, l’intervalle de temps entre deux pics d’abondance dans la population de lemmings est de 3 à 4 ans ce qui a un grand impact sur la reproduction de leurs prédateurs principaux. Plusieurs facteurs tels que la prédation, la disponibilité de nourriture, les parasites, la condition de la neige et le stress pourraient affecter les cycles de populations de lemmings. À l’Île Bylot, la prédation semble jouer un rôle important sur l’abondance estivale et hivernale des lemmings. Les prédateurs qui dépendent exclusivement des lemmings comme source de nourriture (les spécialistes comme le harfang des neiges, le labbe à longue queue et l’hermine) sont absents de l’île quand les lemmings sont rares. Par contre, les prédateurs qui peuvent compter sur d'autres sources de nourriture (les généralistes comme les renards, les buses et les goélands) sont toujours présents quand l’abondance des lemmings est faible mais on les retrouve en moins grand nombre et leur succès de nidification est plus faible. Lors des années de fortes abondances des populations de lemmings, la toundra bourdonne d'une plus grande variété d'espèces qui sont affectées directement ou indirectement par l'abondance de ces petits mammifères. En effet, la reproduction de la majorité des espèces est meilleure quand les lemmings sont abondants, et ce, même pour les espèces non-prédatrices comme la grande oie des neiges, le plectrophane lapon et les oiseaux de rivage.

Nous suivons l’abondance estival des lemmings à l’Île Bylot depuis 1994 par un programme de recensement par trappage mortel. Depuis 2004, nous suivons également les variations annuelles et saisonnières de leurs abondances, leurs activités de reproduction et leur survie par un programme d’échantillonnage basé sur le trappage vivant (capture-marquage-recapture) afin d’améliorer nos connaissances de la dynamique de leurs populations.

Live trap use to monitor the abundance of lemmings on Bylot Island - Dominique Fauteux
Piège servant à capturer des lemmings vivants pour le suivi de leur abondance à l'Île Bylot.
Lemming winter nest - Dominique Fauteux

Les lemmings peuvent produire plusieurs portées par année, incluant durant l’hiver. À cette période de l’année, ils construisent des nids à partir de plantes herbacées mortes, d’arbustes éricacées et d’herbe pour garder leur portée au chaud sous la neige. Les lemmings abandonnent ces nids au printemps et ces derniers nous sont très utiles pour suivre l’abondance et la reproduction des lemmings pendant l’hiver sur l’île. De plus, les carcasses de lemmings parfois trouvés dans ces nids nous renseignent également sur leur prédation. Ce suivi débuté en 2007 permet d’examiner les densités hivernales et estivales ce qui a permis de montrer que les populations de lemmings déclinent surtout pendant l’été et l’automne alors que les populations augmentent durant la saison froide quand la prédation est plus faible, permettant ainsi aux lemmings de se reproduire et se multiplier sous la neige.

L’Île Bylot est l’un des sites d’étude où les rongeurs de l’Arctique sont suivis en Amérique du Nord dans le cadre du Plan de surveillance terrestre du Circumpolar Biodiversity Monitoring Programme (CBMP). Pour en connaitre davantage sur nos méthodes de terrain, vous référer à notre manuel technique sur les petits mammifères (disponible en anglais seulement). Les données reliées à notre suivi de lemmings à l’Île Bylot sont également disponibles sur Nordicana D.

Les lemmings survivent à l'hiver rigoureux de l'Arctique sous la neige

Avant le début de l'hiver, la plupart des oiseaux quittent l'île Bylot pour migrer plus au sud vers des climats plus chauds. Cependant, les mammifères terrestres, tels que les ours polaires, les renards arctiques, les lièvres arctiques, les hermines et les lemmings, ont développé des adaptations spéciales qui leur permettent de rester actifs et de survivre dans des environnements extrêmement froids. Dans l'Arctique, la neige recouvre généralement le sol d'octobre à juin. Ceci représente donc un défi pour certaines espèces pour accéder à leur nourriture mais pour d’autres c’est un répit tant attendu. Dans le cas des lemmings, ils creusent des tunnels dans la neige pour éviter leurs prédateurs, accèdent à leur nourriture (végétation) au niveau du sol et construisent des nids dans lesquels ils peuvent se reproduire si les conditions sont bonnes. Le manteau neigeux agit également comme un abri contre les conditions hivernales rigoureuses car la température de la neige près du sol est plus chaude que la température de la neige près de la surface du manteau neigeux. Cependant, de mauvaises conditions de neige comme une couche basale dure due à des événements de pluie sur neige peuvent rendre le creusage très difficile pour les lemmings mais aussi les empêcher d'accéder à la végétation prise dans la glace. Il a donc été suggéré que les conditions de neige dure pourraient affecter négativement les populations de lemming pendant l'hiver.

Depuis 2017, nous étudions la position et la longueur des tunnels creusés par les lemmings en relation avec les propriétés physiques de la neige pour mieux comprendre comment la neige affecte leurs mouvements en hiver. Nous localisons les tunnels de lemmings en creusant dans la neige sur les sites d'attaques de renards arctique pour capturer un lemming. Les tunnels de lemmings se trouvent juste en-dessous d'une couche de neige dure, dans la couche la plus fragile connue sous le nom de couche de givre de profondeur (également connue sous le nom de « neige granulée » ou « pukaya » en Inuktitut). Cette couche ne se trouve pas toujours à la base du manteau neigeux, au niveau du sol, mais les lemmings choisissent cette couche de neige de faible densité, potentiellement pour diminuer leurs dépenses énergétiques. Le fait qu'ils creusent juste sous une couche de neige dure pourrait empêcher leurs tunnels de s'effondrer, permettant aux lemmings de réutiliser les mêmes tunnels tout au long de l'hiver. Il est essentiel pour eux d'économiser de l'énergie pendant l'hiver rigoureux de l'Arctique, car cela peut améliorer leur survie et leur succès reproductif.

Site of a fox attack on a lemming hidden under the snow - Mathilde Poirier   Researcher digging a snow pit - Marianne valcourt
Site d’attaque d’un renard pour capturer un lemming caché sous la neige.   Chercheure creusant un puit de neige.
Snow pit showing how far a fox is willing to go to get its prey - Mathilde Poirier   Lemming tunnel under the snow - Mathilde Poirier
Puit de neige montrant les efforts d’un renard pour capturer sa proie.   Tunnel de lemming sous la neige.
Renard arctique Harfang des neiges